vendredi 19 octobre 2012

Les élections américaines : Le mouvement conservateur moderne.

James W. Ceaser
Avec tout ce qui se passe en ce moment en Occident (les socialistes élus en France, le Parti Québécois -socialiste- élu au Québec, et cet énorme enjeu des élections américaines qui pourraient, si Barack Hussein Obama était élu, devenir également socialistes comme la plupart des pays occidentaux à notre époque, je me dis que nous avons plus que jamais besoin d'avoir de bons éléments de réflexion politiques, au delà d'un simple aspect partisan.

J'ai reçu le texte qui suit d'un ami que j'ai trouvé tellement intéressant, car il me semble qu'il regarde avec intelligence et concision l'histoire du libéralisme et du conservatisme, ainsi que l'état des choses à notre époque.

C'est un texte, concis, comme je l'ai dit, mais qui demeure long par rapport aux standards d'un blog.
Cependant, la question est importante et je crois qu'il faut susciter cette réflexion de fond à tout prix et avec tous les moyens disponible.

Voici donc :

P.S. : [Les commentaire entre crochets sont de l'ami qui m'a envoyé ce texte, non de moi]


par James W. Ceaser, Le Bulletin d’Amérique, 2012-10-08, professeur de sciences politiques à l’Université de Virginie et chercheur invité à la Hoover Institution de l’Université de Stanford. Il est notamment l’auteur de Reconstructing America: The Symbol of America in Modern Thought et de Designing a Polity: America’s Constitution in Theory and Practice (2010).

Souvent incompris, le conservatisme américain est pourtant l’un des grands courants politiques du XXe siècle. Les États-Unis vivent aujourd’hui sous son influence. Pour James W. Ceaser, professeur à l’Université de Virginie, il est né de l’alliance peu évidente de quatre courants quelquefois antagonistes. Cet extrait de l’ouvrage Designing a Polity a été traduit avec l’autorisation de l’auteur par Aristide.
 
Il a été dit, en manière de plaisanterie, que de nos jours aux États-Unis l’union du mouvement conservateur est maintenue par deux vérités évidentes par elles-mêmes [1] : Barack Obama et Nancy Pelosi [2].
Comme beaucoup de remarques de ce genre, celle-ci contient une part de vérité. Une bonne partie de l’unité qui existe entre les conservateurs provient de leur antipathie partagée envers le libéralisme [3]. Cette aversion est le cœur unique qui bat dans la poitrine des composantes diverses et souvent querelleuses du mouvement conservateur. Si, par quelque étrange arrêt du destin, le libéralisme venait à cesser d’exister demain, le conservatisme commencerait à se fractionner dès le lendemain. Il n’y a pas de honte, en politique, à s’appuyer sur la force de cohésion que fournit un ennemi commun. L’Amérique est un vaste pays, dans lequel un mouvement ne peut espérer remporter une majorité que par une coalition. Le conservatisme est une coalition de ce genre. D’un point de vue théorique, celui-ci est composé de quatre têtes qui tirent d’un même cœur le sang qui les irrigue : le traditionalisme [l’ACt qui inclue les autres composantes], le néoconservatisme, le libertarisme, et la droite religieuse. Le conservatisme est un mouvement caractérisé par ce que l’on nommait autrefois avant que le multiculturalisme ne prenne le terme en otage la diversité. Le libéralisme, lui aussi, est une sorte de coalition. Il a de nos jours un noyau plus militant dont les membres se sont donnés le nom de « progressistes », et une frange moins nombreuse et plus modérée, les blue dogs [4]. L’antipathie à l’égard de leurs opposants a également été vitale pour les libéraux afin de soutenir leur mouvement, comme le montre leur bienfaisante aversion envers George W. Bush et Sarah Palin. Mais il existe une différence importante entre les deux coalitions. Le conservatisme est intellectuellement plus hétérogène que le libéralisme. Les têtes ou les parties composant le conservatisme sont venues à l’existence en des temps et en des circonstances différentes, et elles n’ont jamais prétendues être guidées par les mêmes principes. Les libéraux, en revanche, préfèrent penser, au minimum, qu’ils sont inspirés par les mêmes idéaux. Dans la mesure où les blue dogs s’écartent des progressistes, ce n’est pas parce qu’ils expriment une théorie différente, mais parce qu’ils réagissent à un ensemble de pressions politiques différentes.
 
Une conséquence de cette différence entre les deux coalitions apparait dans la manière dont elles traitent les désaccords. Lorsque des conflits apparaissent parmi les libéraux, les progressistes considèrent la déviation comme une hérésie, dans la mesure où il n’existe qu’un seul vrai libéralisme. Les conservateurs ne sont pas schismatiques de la même manière, et ce pour la simple raison qu’ils n’ont jamais entretenus l’illusion qu’ils étaient fondamentalement d’accord. Les anciennes composantes du mouvement conservateur accusent les nouvelles de chercher à usurper le mouvement, ou bien de ne pas être authentiquement conservatrices. Mais elles les accusent rarement d’être hérétiques ou de briser l’unité de la foi : leur péché consiste dans le fait qu’elles n’ont simplement jamais possédé les vrais principes. Les critiques du conservatisme dépeignent souvent son hétérogénéité comme une grave faiblesse. Combien de fois, aujourd’hui, entend-on les commentateurs libéraux, particulièrement ceux qui ont certaines prétentions intellectuelles, faire usage d’un classique de l’une des variétés du conservatisme [par exemple la lutte à l’avortement] à seule fin d’essayer de plonger dans l’embarras les conservateurs appartenant à une autre de ses variétés ? Cette tactique suit invariablement la même formule prétentieuse : « J’aurais pensé que les conservateurs, tout particulièrement, suivraient leur grand penseur X (Burke, ou Hayek, etc.) et seraient spécialement attentifs à Y », Y pouvant être soit une protection scrupuleuse des libertés civiles et de la vie privée (comme si la sécurité et la sûreté nationale n’étaient pas aussi une préoccupation des conservateurs) ou bien la renonciation à quelque forme d’occupation étrangère ou de nation building que ce soit (comme si le besoin de répondre à des défis d’un nouveau genre par de nouvelles solutions n’avait jamais été reconnu par aucune école conservatrice). Du point de vue de ses critiques libéraux, il est évident que les quatre têtes du conservatisme font de celui-ci un monstre. Mais les conservateurs, lorsqu’ils sont capables de s’abstraire un moment de leurs querelles internes et de réfléchir à la question, voient cette créature sous un jour différent. Le débat permanent entre les différentes têtes [5] aiguise la pensée et protège contre la complaisance intellectuelle, qui sonne le glas de n’importe quel parti. Mieux vaut quatre têtes qu’aucune !
 
Quatre têtes et quatre principes fondateurs
 
Chaque tête de la coalition intellectuelle conservatrice donne la préférence à son propre principe premier ou concept fondamental. Ce fondement sert de critère à l’aide duquel elle juge de ce qui est juste ou de ce qui est bien. Pour le traditionalisme, ce concept est l’Histoire ou la culture, c’est à dire l’héritage [patriotisme] qui nous a été transmis et qui est le nôtre. Nous pouvons aussi considérer comme notre grande chance que cette culture se trouve être bonne. Comme Samuel Huntington l’a fait récemment observer dans un livre intitulé Qui sommes-nous ?, un livre qui a été fort applaudi par les traditionnalistes, le noyau de l’identité de l’Amérique provient de sa culture originelle. Cette culture existait bien avant la Révolution, dans les pratiques et les croyances des colons américains, particulièrement en Nouvelle-Angleterre. Huntington appelle cette culture « l’Anglo-Protestantisme » et il soutient que c’est sur ce fondement que les Américains devraient établir les bases de leur identité nationale. Les traditionalistes aujourd’hui sont les défenseurs de la culture certains avec douceur et courtoisie, armés seulement de leurs nœuds papillons ; d’autres de manière plus bruyante et militante, avec leurs fourches menaçantes. La défense de la culture par les traditionnalistes se révèle parfois à l’examen plutôt vague et amorphe. La tradition, qui a été décrite comme « un certain assemblage de croyances, de convictions, de règles, d’usages, de traditions, de proverbes et de principes », peut être moins importante pour ce qu’elle affirme que pour ce à quoi elle s’oppose. Les traditionnalistes se méfient des efforts visant à tout ordonner de manière rationnelle en politique, et ils déplorent l’introduction de la théorie ou des idées générales en ce domaine. À la suite de l’un des traditionnalistes les plus connus, Russel Kirk [6], beaucoup d’entre eux ont même exprimés des réserves concernant le premier paragraphe de la Déclaration d’Indépendance, avec sa référence aux « Lois de la Nature ». Les traditionnalistes soutiennent qu’une telle manière abstraite de raisonner conduit inévitablement à des erreurs et à des excès. La culture ou la tradition est bonne en grande partie parce que personne n’a jamais eu à la concevoir ou à la construire. Elle est simplement là, ayant évolué dans un endroit ou un contexte spécifique. Les traditionnalistes préfèrent en politique ce qui se développe d’où le terme de « culture », qui était à l’origine un terme lié à l’agriculture à ce qui est construit. Pour les néoconservateurs aujourd’hui, le concept fondamental est celui du droit naturel, ce qui est une manière théorique de dire que le critère du bien ou du juste, en ce qui concerne l’action politique ou sociale, peut être découvert par la raison humaine, même si ce critère pourrait aussi avoir été établi par la loi divine. Une idée du juste tirée de la raison serait en principe applicable à tous, ou serait universellement valide, quelle que soit la mesure dans laquelle des influences culturelles particulières seraient susceptibles d’empêcher sa reconnaissance ou de rendre impraticable son acceptation. Une validité universelle ne nécessite pas une adoption universelle. Il s’ensuit également pour les néoconservateurs que la pensée humaine ou la raison, bien qu’elle soit largement contrainte par les circonstances, peut être un instrument pour aider à modifier ou à structurer l’environnement.
 
Les néoconservateurs, en accord avec les traditionnalistes, reconnaissent qu’une grande partie de ce qui, en politique, s’est présenté sous le nom de raison dans un passé récent disons dans la dernière paire de siècles ou à peu près a été abstraction et idéologie dangereuse. Un grand nombre, si ce n’est la plupart, des projets « d’ingénierie sociale » sont des erreurs. Mais certains grands projets, comme la Fondation des États-Unis elle-même (the Founding), ne sont pas dans ce cas. Pour les néoconservateurs, la Fondation des États-Unis est un événement décisif parce qu’elle a bâti intégralement un système ; pour les traditionnalistes, la Fondation est mieux comprise comme un moment particulier dans le développement des valeurs culturelles Anglo-Protestantes. Alors que le traditionnaliste identifie la prudence avec la circonspection, le néoconservateur voit que la prudence peut parfois signifier l’audace. Les néoconservateurs, à la différence des traditionnalistes, soutiennent que, pour être sages, les différentes lignes de conduite doivent être guidées par la raison, pas par la renonciation à la raison, qui peut mener à des excès qui lui sont propres. Il ne servirait à rien de jeter le bébé [l’enfant Jésus ?!] avec l’eau du bain. Pour le libertarien [« libertaire de droite » car influencé par le libéralisme], le concept fondamental est celui de « l’ordre spontané », le postulat qu’il existe une tendance au sein des affaires humaines, et très probablement dans le cosmos tout entier, à ce que les choses s’arrangent et tiennent ensemble par elles-mêmes, pourvu qu’aucun effort délibéré ne soit fait pour imposer un ordre global. Selon la formule classique d’Adam Ferguson, l’ordre est le résultat de l’action humaine mais pas de l’intention humaine. Même le choix de notre morale et des règles de base de la société n’a rien eu à voir avec un choix ou un plan. Selon Friedrich Hayek, « Nous ne devons pas notre morale à notre intelligence [mais] au fait que certains groupes ont accepté sans comprendre certaines règles de conduite… Ce fut un processus de sélection culturelle, analogue à un processus de sélection biologique [7]. » Le seul « ordre » qui soit bon est celui qui destiné à assurer le libre jeu des processus spontanés, ce que l’on a appelé « le système de la liberté naturelle [8] ». Beaucoup sont aujourd’hui familiers avec une application de l’idée d’ordre spontané à l’analyse des questions économiques, ou elle prend le nom d’emprunt de « la main invisible ». La main invisible travaille derrière notre dos pour assurer que, tandis que chaque personne ou chaque unité [idéologie prônant l’individualisme] poursuit son intérêt particulier, sans se soucier de l’ensemble, le résultat sera bénéfique pour tous. Pour les libertariens, l’économie, bien loin d’être une science morose, est une image de la beauté. L’économie est la reine des sciences et est architectonique pour toutes les autres formes de savoir. [utilitarisme franc-maçon] Ses principes s’appliquent non seulement aux questions économiques stricto sensu, mais aussi aux domaines du comportement social et culturel, qui peut être analysé par des modes de pensée économiques. Le principe de l’ordre spontané gouverne aussi les relations internationales, un domaine dans lequel beaucoup de libertariens sont en faveur de politiques isolationnistes, en partant de l’idée que l’ordre n’a pas besoin d’être imposé ou garanti par une grande puissance (l’Amérique), mais tend à émerger de lui-même.
 
Pour ceux qui appartiennent à la droite religieuse, le concept fondamental est celui de la foi biblique. À la différence des autres concepts fondamentaux, la foi n’est pas directement concernée par la politique, mais par un autre domaine : la relation de l’être humain avec la transcendance. Il n’est par conséquent pas surprenant qu’un grand nombre de ceux qui s’orientaient en fonction de la foi aient été apolitiques pendant la plus grande partie du siècle dernier, refusant de s’organiser collectivement en matière politique afin de promouvoir des positions religieuses. L’implication dans la politique pour des raisons relatives à la foi était sporadique et n’apparaissait que sur des sujets spécifiques. [par exemple contre le cours ÉCR alors que les trads sont contre son imposition unilatérale] Mais à un moment donné dans les années 1970, un grand nombre de gens appartenant à la communauté des croyants ont commencé à affirmer qu’une situation nouvelle était apparue au sein de la nation, une situation caractérisée par une menace politique et culturelle grandissante pour la religion. La conviction se fit jour que les deux domaines le domaine politico-culturel et le domaine religieux interféraient l’un avec l’autre, non pas juste sporadiquement et sur des sujets particuliers, mais systématiquement et de manière continue. Certains croyants, par conséquent, choisirent de s’organiser et de s’engager plus directement dans les affaires politiques et culturelles. Cette décision fut l’origine de ce qui, en peu de temps, fut connu sous le nom de droite religieuse et qui, dans les années 1980, devint une partie intégrante du mouvement conservateur moderne. La foi, en tant que concept fondamental dans le domaine politique, ne vise pas à fournir un critère définitif du juste politique pour tous les sujets. Elle soutient un projet politico-culturel plus limité, qui se rapporte aux intérêts ou aux préoccupations spécifiques à la foi. D’un point de vue défensif, ce projet comprend une action collective destinée à préserver des lieux dans lesquels peut être encouragée une vie dédiée à la foi, ce qui en pratique a souvent signifié s’efforcer de contrebalancer les forces qui, dans le domaine de la politique et de la culture, sont indifférentes ou hostiles à la religion. Mais on se trompera sur ce projet si on ne considère que son aspect défensif. Celui-ci comporte également un aspect positif, qui s’exprime dans une idée plus ancienne, d’origine puritaine, selon laquelle l’Amérique a un rôle à jouer en tant qu’instrument au service de la transcendance. S’exprimant presque au même moment que la proclamation de la Déclaration d’Indépendance, Samuel Sherwood rappelait aux Américains que « La providence de Dieu, en établissant son Église dans ce qui était alors une étendue sauvage et mugissante, puis en l’amenant et en la préservant jusqu’à ce jour… est comptée parmi les plus glorieux événements que l’on puisse trouver dans l’histoire, en ces âges tardifs du monde. Et cependant il est encore bien d’autres événements glorieux dans le sein de la providence. » Pour ceux qui sont guidés par la foi, l’adoption de la Constitution légale n’a en rien fait disparaitre l’idée que l’Amérique a un rôle particulier à jouer au service d’une cause plus élevée. Pour nombre de croyants, il a toujours été entendu qu’il existe une seconde Constitution, non écrite, destinée à opérer parallèlement à la Constitution légale. La seconde Constitution faisait avancer la cause de la foi, tandis que la première s’occupait des questions politiques. Parce que ces deux Constitutions se préoccupaient de questions largement distinctes, il n’était pas nécessaire de les combiner dans un seul document en fait, il aurait même été nuisible aux objectifs poursuivis dans ces deux domaines de les faire fusionner. Les deux Constitutions existaient ensemble dans le cœur et l’esprit de nombreux Américains et s’avéraient complémentaires en pratique. Pour ceux qui sont de cette opinion, l’Amérique n’est pas pleinement l’Amérique et ne peut pas être pleinement chérie et aimée si la Constitution non écrite est abandonnée et si la foi ne survit ici, dans le meilleur des cas, que comme une croyance parmi d’autres. Serait-il excessif de dire qu’une Amérique ayant abandonnée la foi serait « inconstitutionnelle » ?
 
Une préoccupation majeure de la droite religieuse a été de reformuler ce projet d’une manière qui soit audible de nos jours. Les conditions ont changé, et le caractère spécifique du projet positif doit changer également. Alors qu’il était initialement conçu comme une mission dévolue à la seule Église « réformée », il est aujourd’hui repensé en laissant de côté les subtilités théologiques comme une entreprise commune à tous ceux qui se vouent à la foi biblique [les chrétiens], afin de faire face à une culture qui, de plus en plus, se conçoit elle-même comme « post-religieuse ». La droite religieuse a été particulièrement remarquable par les alliances et les coalitions qu’elle a noué entre les croyants de différentes religions traditionnelles protestants, catholiques et juifs afin de faire avancer ses objectifs. Ces quatre concepts fondamentaux la culture, le droit naturel, l’ordre spontané, la foi [inclus dans l’ACt !] sont à la base d’une grande partie de ce que les conservateurs reprochent au libéralisme [9]. Les conservateurs sont d’accords entre eux sur un grand nombre de ces objections, bien que pas sur toutes, mais chaque composante du mouvement a, sur la base de son propre concept fondamental, endossé un rôle particulier dans la critique d’une facette différente du libéralisme. Pour le traditionaliste, la caractéristique la plus contestable du libéralisme est un progressisme désinvolte qui dédaigne complètement l’héritage de l’Amérique et le concept ou l’idée de nation. Les libéraux recherchent ce qui est nouveau, ce qui est à la mode et (pour parler de manière métaphorique) ce qui est « européen », contre ce qui est traditionnel et américain. Les libéraux préfèrent être multiculturels, cosmopolites, ou « transnationaux » ; ils sont plus soucieux d’adopter le point de vue d’autrui que le point de vue de l’Amérique et considèrent de plus en plus la forme politique nationale comme un anachronisme, alors que le monde est en train de se globaliser. Cette posture libérale est diamétralement opposée aux conceptions du traditionaliste, qui est fier de notre propre culture en partie simplement parce qu’elle est la nôtre. Les néoconservateurs reprochent au libéralisme son relativisme, son affirmation que la pensée humaine parvient à la conclusion qu’il n’existe aucun critère de ce qui est juste. Les libéraux peuvent éventuellement savoir ce qui est juste en suivant les exhortations du cœur ils parlent sans cesse d’humanitarisme et de compassion et ils essayent parfois, de manière incohérente, de tirer du relativisme lui-même une norme inconditionnée de tolérance. Mais lorsqu’on les met à l’épreuve, ils se refusent à expliciter sur quel fondement pourrait reposer un critère rationnel du juste et ils préfèrent à la place se dire « pragmatiques ». Pour le libéralisme, l’édiction d’un tel critère révèle une arrogance et une intolérance qui conduisent à l’extrémisme.
 
Les intellectuels libéraux les plus en vue sont en faveur de la position théorique connue sous le nom de « néo-pragmatisme » (ou non fondationnalisme politique), selon laquelle on sert le mieux les démocraties avancées en abjurant tout concept fondamental, quel qu’il soit, politique ou religieux. Pour les néoconservateurs, le relativisme des libéraux et leur répudiation du droit naturel risque de se transformer en inconstance dans l’accomplissement des desseins de la nation, comme on a pu le voir durant la guerre froide et aujourd’hui dans la guerre contre le terrorisme. Pour le libertarien (et pour les conservateurs économiques plus généralement) le libéralisme est condamnable à cause de sa préférence automatique pour la régulation et la planification. Le libéralisme est pratiquement synonyme d’État-providence. Aucun effort pour se débarrasser de cette addiction y compris les déclarations solennelles selon lesquelles l’ère de l’État-providence est révolue [10] ne peut réussir. Le libéralisme est un délinquant récidiviste et un perpétuel adversaire du « système de la liberté naturelle ». Le retour de plans toujours plus grandioses de contrôle gouvernemental, depuis la Grande Société dans les années 1960, en passant par la politique industriel des années 1970 et les vastes projets d’expansion du gouvernement avancés par l’administration Obama, sont, pour les libertariens, la preuve de la « présomption fatale [11] » qui anime la pensée libérale. La droite religieuse condamne le « sécularisme » libéral, qui est aussi connu sous le nom « d’humanisme séculier » ou de « religion de l’humanité ». Le sécularisme fait bien plus que d’adopter une interprétation de la Constitution qui cherche à ériger un célèbre « mur de séparation » [12] entre la religion et l’État. Le sécularisme a un projet qui lui est propre, et son objectif fondamental est de faire en sorte que la foi biblique ne se voit plus reconnu aucun rôle en tant que principe directeur de la culture. Il ne s’estimera pas satisfait tant que la foi ne renoncera pas à jouer quelque rôle public que ce soit, direct ou indirect. Le conflit entre le sécularisme et la foi est au cœur de ce que l’on nomme la guerre culturelle.
 
L’avenir du mouvement […« mouvement d’action conservatrice traditionnelle » menant à terme (masse critique) à un parti « conservateur national traditionnel CNt »]
 
En dépit du fait que le conservatisme, sous une forme ou sous une autre, ait contribué à fixer l’ordre du jour de la politique américaine pendant la plus grande partie de la période qui va de 1980 à 2008, beaucoup de ses critiques affirment qu’il ne saurait jamais devenir la philosophie d’une force vraiment active ou d’un « parti de gouvernement ». Le mot « conservateur » lui-même, disent-ils, ne dénote-il pas l’inverse de l’activité, ne traduit-il pas une disposition à avancer lentement, à attendre que d’autres prennent l’initiative, et ensuite à réagir ? Le conservatisme ne peut jouer le rôle de philosophie d’un parti de gouvernement que si ses quatre têtes sont correctement agencées. [intégrées dans un mouvement cohérent et efficace] Cet agencement dépendra toujours en partie des circonstances du moment. Le traditionalisme et le libertarisme sont susceptibles d’être les plus influents lorsque la tâche du moment est de corriger ou de défaire des politiques libérales erronées. [action politique très concrète et donc, plus assimilable par la population (éducation politique)] Le traditionalisme s’enorgueillit parfois de ne pas avoir de projet positif ; il trouve sa vocation dans la critique des initiatives imprudentes des autres et souvent fonctionne le mieux en tant que « conscience du conservatisme ». Le libertarisme (y compris le conservatisme économique) est le plus nécessaire lorsqu’il s’agit de contrecarrer les abus provoqués par la planification centralisée. Son point fort est « l’administration » des affaires intérieures non pas, bien évidemment, dans le sens libéral de construction d’un État administratif, mais dans le sens plus ancien de gérer les affaires publiques. De nos jours le conservatisme économique ne peut pas rester passif. Il doit se préoccuper de mettre au point des plans pour superviser l’économie, pour réduire les budgets, et pour faire face à l’énorme pression économique créée par les engagements excessifs de la protection sociale en matière de retraite et de santé. Lorsqu’il s’agit d’assumer un rôle d’initiateur pour tracer de nouvelles routes, afin de piloter la nation dans l’environnement international et de fournir un compas moral, les néoconservateurs et la droite religieuse doivent jouer les premiers rôles. Les principaux défis de la haute politique qui façonnera l’Occident sur le long terme se trouvent dans la bataille pour sauver la civilisation d’une nouvelle barbarie, et dans l’effort pour sauvegarder un climat hospitalier pour la foi biblique. Le rôle de l’Amérique est central dans la manière dont ces deux questions seront résolues. En tant que puissance mondiale la plus importante, l’Amérique a la responsabilité de formuler la stratégie de base destinée à contrecarrer la nouvelle barbarie, et la responsabilité de porter le fardeau de la mise en œuvre de cette stratégie. En tant que nation de l’Occident ayant en son sein le plus vaste mouvement pour soutenir la foi, l’Amérique a pour tâche de garder le flambeau allumé en attendant que les temps redeviennent plus favorables. Pour qu’un leadership commun entre les néoconservateurs et la droite religieuse puisse réussir, chaque partie a besoin d’être consciente du rôle qui est le sien et du caractère de son partenaire. [cohérence efficace]
 
Éviter les malentendus est crucial, car bien des gens avancent des arguments destinés à brouiller ces deux groupes. L’un de ces arguments est que le concept fondamental de droit naturel, étant donné son origine rationnelle, est hostile à la foi. Cette position est erronée. Correctement entendue, la conception américaine de la loi naturelle assigne au pouvoir politique la charge de protéger les droits, mais elle n’exige pas l’abandon de tout projet plus vaste ou plus élevé. Le respect et la protection des droits constituent le minimum de la vie politique, pas son maximum. Les projets qui sont compatibles avec la défense des droits naturels mais qui envisagent d’encourager la poursuite d’un but plus élevé ne sont pas bannis de la vie de la communauté politique. Le droit naturel par lui-même ne requiert pas de nourrir la foi biblique au nom du bien commun, mais il ne l’empêche pas non plus. Un grand nombre d’adeptes du droit naturel sont aujourd’hui convaincus que les objectifs de ce droit ne peuvent être atteints que par et avec le soutien de la religion. Une preuve de cette alliance peut être trouvée dans le fait que les néoconservateurs se sont associés avec des membres de la droite religieuse pour travailler ensemble sur des sujets très importants, tels que la composition des cours de justice, le génie génétique, et la liberté scolaire. [le succès de la CLÉ témoigne, à mon humble avis, d’un potentiel de gain politique global à l’échelle nationale] Si les adeptes du droit naturel ont trouvé dans le projet de la foi beaucoup d’éléments qui sont compatibles avec le leur, l’inverse est aussi vrai. Tout d’abord, cela a été une pure calomnie de la part des sécularistes de suggérer que les adeptes de la foi sont hostiles à la protection des droits naturels et qu’ils sont par conséquent en désaccord avec les néoconservateurs (et avec tous les autres). Dans le cours de sa brève existence, la droite religieuse a poursuivi ses objectifs non pas en opposition au système des droits naturels, mais en complément de ce système, qu’elle soutient entièrement. Le point le plus important, dans la perspective d’un partenariat, est que le projet de la foi ne se préoccupe que d’une mission limitée, pas de superviser l’ensemble d’un programme politique. Pour son propre bien, elle préfèrera sans doute ne pas être davantage qu’une mouvance puissante qui travaille au sein d’une coalition, plutôt qu’une force revendiquant la responsabilité de gouverner, ce qui est une tâche qui va bien au-delà de ses moyens et de sa vocation. Elle a par conséquent besoin d’un partenaire pour gouverner. Il serait bien sûr absurde de penser que les priorités différentes qu’ont ces deux parties de la coalition ne créeront jamais de conflit. C’est d’une gestion réaliste et réussie de ces conflits [cohérence, efficacité, solidarité, masse critique…] que dépend le futur du mouvement conservateur.
 
Annexe : le conservatisme est-il une forme de libéralisme ?
 
Le conservatisme américain se voue à la conservation de la république américaine. Il ne peut avoir de but plus élevé ou plus noble. Mais qu’est-ce donc, plus précisément, que le conservatisme est censé conserver ? Dans la mesure où la république américaine est habituellement rangée parmi les régimes « libéraux », certains se sont demandés si le conservatisme [le cas des « progressiste-conservateurs »… des « libéraux bleus » !] aujourd’hui ne devrait pas être considéré comme un synonyme du libéralisme ou comme une branche de celui-ci. Si cela est le cas, comme le croient beaucoup de gens, la tâche centrale du conservatisme serait de conserver le libéralisme (« libéralisme », dans ce contexte [libertarisme], fait référence à la variante originelle du 18e siècle, c’est à dire un gouvernement limité dont le but principal est de protéger les droits individuels, plutôt qu’à la variante moderne qui désigne un État interventionniste visant à réaliser la « justice sociale »). Il y a sans aucun doute quelques précédents pour identifier le conservatisme avec le libéralisme, dans la mesure où deux des plus grands conservateurs américains [libertariens], Friedrich Hayek et Milton Friedman, ont préféré à un moment le terme de libéralisme pour décrire leur position. Pourtant, c’est en définitive une erreur de penser que le conservatisme américain est identique au libéralisme, même dans son sens originel. Le conservatisme peut servir le libéralisme et chercher à le préserver, mais il le fait souvent par des moyens que le libéralisme originel concevait à peine et que le libéralisme moderne rejette habituellement. Et il fait cela pour le bien du libéralisme originel. [Stephen Harper à « libéral classique »] Le fait est que la théorie libérale n’a jamais développé les instruments adéquats pour se maintenir elle-même ; elle a toujours eu besoin de quelque chose de plus qu’elle-même pour survivre. Le conservatisme est la philosophie qui, tout en donnant son aval à une bonne part du libéralisme, reconnait ce besoin. Sans le conservatisme, le libéralisme commencerait à dépérir. En fait il a déjà commencé à dépérir. Le conservatisme conserve la république américaine en soutenant ses fondements théoriques qui se trouvent dans les droits naturels. Cette « vérité abstraite, applicable à tous les hommes et à tous les temps » (Lincoln), les conservateurs n’ont pas honte de la proclamer, y compris devant l’assemblée générale des Nations Unies. Sur ce point, les conservateurs sont en accord un grand nombre des libéraux originels. Les libéraux modernes, en revanche, préfèrent contester toute prétention à posséder la vérité ou à avoir découvert un fondement ; ils se présentent eux-mêmes comme des pragmatiques ou des « non fondationnalistes », tout en insérant leurs valeurs dans le « processus de développement » ou dans le « changement ».
 
Le conservatisme conserve la république américaine en soutenant l’idée de nation. La nation est nécessaire pour la sécurité, pour les activités de la vie politique commune, et même pour le bien de l’humanité en général. Après tout, quelle autre entité que l’État-nation nous défend, met en œuvre nos lois, et pourvoit au bien-être d’un grand nombre de gens qui ne dépendent pas de son autorité ? Le conservatisme non seulement reconnait les arguments rationnels en faveur de la nation, mais il laisse aussi une place à des sentiments justifiés d’attachement à celle-ci, en reconnaissant que le cœur a ses raisons que la raison ne connait point. Le libéralisme originel était également l’ami de la nation, et il avait développé des notions qui soutenaient la nation, comme la notion de souveraineté. Mais il est également vrai que le libéralisme a eu dès le départ des difficultés à expliquer ce que pouvait être la nation au-delà d’un contrat, et il n’a jamais pu arriver complètement à comprendre des sentiments d’attachement raisonnables à celle-ci. Le libéralisme moderne est devenu de plus en plus mal à l’aise avec la nation. Il considère le patriotisme comme un anachronisme et il promeut une citoyenneté internationale et des études internationales pour remplacer la citoyenneté américaine et une éducation dans notre propre tradition politique. [voilà un angle déterminant, particulièrement pour l’avenir du Québec] La catégorie principale du libéralisme moderne est « l’humanité ». Le conservatisme conserve la république américaine en apportant un soutien approprié à la religion biblique. La religion biblique a été la source majeure de notre système d’éthique, un système fait de maitrise de soi et de croyance en quelque chose au-delà de l’existence matérielle. Les conservateurs adhèrent aux principes libéraux de la liberté de religion, de séparation de l’Église et de l’État, et de tolérance religieuse. Mais ils ne voient pas de contradiction (pourquoi devraient-ils en voir une ?) entre le fait de soutenir ces principes et le fait de promouvoir des mesures raisonnables que celles-ci concernent l’immigration, la politique fiscale, ou bien l’éducation pour préserver la place centrale des religions bibliques dans notre culture. La théorie libérale originelle était, dans certaines de ses formulations, réservée envers la religion, et souvent elle n’a pas su reconnaitre ou apprécier à quel point la société libérale avait emprunté au capital de la religion. En ce qui concerne le libéralisme moderne (si l’on met de côté l’importante faction qui est hostile aux religions bibliques), il a pris la norme légale de la liberté religieuse et l’a déformé en un nouvel idéal de neutralité entre la foi et l’incroyance. [laïcisme idéologique] Le libéralisme ne nécessite pas cette neutralité, et le conservatisme ne la recommande pas.
 
Le conservatisme conserve la république américaine en promouvant « la tradition », ce qui fait référence, au-delà de la religion et des Lumières, aux idéaux classiques grecs et romains de vertu et d’excellence. Les conservateurs souscrivent au principe libéral d’égalité des droits, mais ils le font, pour une part qui n’est pas négligeable, parce que ce principe libère un espace pour l’apparition des inégalités et des excellences. La tradition fournit également une base théorique pour une hiérarchie des critères, qui permet aux conservateurs de critiquer sans avoir à s’en excuser la vulgarité qui infecte toute société et qui prospère dans la nôtre. Le libéralisme originel avait souvent les mêmes inclinations Jefferson parlait d’une « aristocratie naturelle » mais il s’engageait trop aisément dans des attaques contre les classiques et, dans son exubérance rationaliste, il est allé trop loin dans l’élévation de l’utile aux dépends du noble. Le libéralisme moderne, avec sa focalisation sur la compassion, a eu du mal à soutenir et à récompenser ouvertement les différentes formes d’excellence. Culturellement, il s’est aussi allié avec le relativisme, qui est l’application de l’idée d’égalité à toutes les pensées. Le relativisme rend plus difficile de maintenir des critères. Et surtout, dans nos universités, le libéralisme moderne a mis de côté « les vieux livres » afin de faire de la place pour les politiques de diversité et d’identité. Le conservatisme accueille aujourd’hui les derniers adeptes du libéralisme originel. Et à juste titre, puisque le mouvement conservateur est bienveillant envers le droit de propriété, les marchés et qu’il s’oppose au collectivisme. Mais le conservatisme est également la demeure de ceux qui croient que la défense du libéralisme requiert quelque chose de plus que la théorie libérale. Les conservateurs de cette sorte montrent comment le fait de cultiver la tradition, la religion, et la vertu classique reconstitue le capital culturel qui nourrit le libéralisme. L’existence de ces différents courants de pensée à l’intérieur du conservatisme produit les tensions qui ont été mentionnées plus haut, mais elle est également une source de la grande créativité du mouvement. Cette créativité s’exprime le mieux dans l’idée que le bien public ne se trouve pas dans l’adhésion aux principes les plus simples, mais dans le mélange d’idées différentes et partiellement discordantes. En reconnaissant cette complexité, le conservatisme montre qu’il n’est pas une simple branche du libéralisme.
 
[1] Allusion au début du second paragraphe de la Déclaration d’Indépendance : “We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal…
[2] Représentante du parti Démocrate et présidente de la Chambre des Représentants de 2006 à 2010.
[3] « Libéralisme » au sens américain du terme donc, du point de vue français, la gauche américaine.
[4] The blue dog coalition est un groupe de Représentants du parti Démocrate qui se définissent eux-mêmes comme des « modérés » (moderates). En France ceux-ci sont parfois désignés par le terme « Démocrates conservateurs ».
[5] Jeux de mots intraduisible sur « talking heads », à la fois les « têtes » du mouvement conservateur et les commentateurs qui aliment le débat public notamment dans les médias.
[6] Auteur de The conservative mind (1953).
[7] Friedrich Hayek; « Our moral heritage »; Heritage Lectures, n°24; Washington, DC : The Heritage Foundation, 1982.
[8] Le terme est utilisé par Adam Smith dans La richesse des nations.
[9] Toujours au sens américain du terme. Donc pour nous, la gauche, ou le progressisme.
[10] Allusion à une phrase prononcée par le Président Clinton lors de son discours sur l’état de l’Union en janvier 1996.
[11] Allusion au livre de Friedrich Hayek, The fatal conceit.
[12] Allusion à une formule fameuse employée par Jefferson dans une de ses lettres : “I contemplate with sovereign reverence that act of the whole American people which declared that their legislature should « make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof, » thus building a wall of separation between Church and State.”


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